Aziz Djaout : mouniabouchra@gmail.com¸ Après une scolarité doctorale en sociologie, Aziz Djaout termine actuellement un doctorat en sciences des religions. Membre de la Chaire de recherche en gestion de la diversité culturelle et religieuse de l'Université de Montréal, ses travaux portent sur les initiatives gouvernementales et communautaires de contre/dé-radicalisation au Québec. De manière plus générale, Aziz s'intéresse aux manifestations religieuses, culturelles, politiques et sociales de l’Islam en Occident. Détenteur d’un MBA, il est également consultant indépendant en stratégie et en planification stratégique. Aziz collabore également, en tant que militant indépendant, avec plusieurs organismes du tissu associatif musulman du Québec. Cette réflexion que propose le Conseil des leaders religieux de Montréal-Nord est un sujet qui me préoccupe comme membre d’une communauté musulmane et comme citoyen. On a besoin de réfléchir collectivement sur le rôle des communautés de foi dans la prévention de la radicalisation.
Une idée très ancrée est que la force du discours djihadiste la rhétorique de ses arguments religieux. Dans le débat public les experts appellent à contrer le discours djihadiste sur son propre terrain, versé par versé, à promouvoir une lecture ouverte modérée. Ces lectures, en fait, existent déjà que ce soit au Québec ou à l’international. Les lectures ou les interprétations modérées ouvertes soufi qui sont plus spirituelles qu’autre chose ont existé de tous temps et existent actuellement. En fait, la force du discours ou du récit djihadiste ne vient pas de la qualité de ses arguments mais plutôt de la capacité du salafisme djihadiste de se promouvoir comme étant à l’avant-garde de la lutte musulmane. Au-delà du discours religieux il faut comprendre que les jeunes peuvent avoir l’impression que c’est le salafisme djihadiste qui porte le mieux les causes musulmanes, qui pose le mieux les problèmes des musulmans que ce soit au niveau local ou au niveau international. On a donc besoin de développer l’habileté du discernement, d’assurer un enseignement religieux aux jeunes mais on a aussi besoin de développer des modèles d’engagement, des alternatives. Les jeunes qui se retrouvent dans ces courants djihadistes ne trouvent peut-être pas d’alternatives d’engagements politiques, civiques qui soient crédibles à leurs yeux. Beaucoup d’imams à cause de l’ambiance dans laquelle nous vivons, à cause des discours de stigmatisation, n’arrivent pas à offrir aux jeunes d’alternative d’engagement à ce que leur proposent les voix extrémistes. Il faut développer des modèles d’engagement civiques et citoyens. Les imams, les activistes des communautés musulmanes, les militants expriment qu’aujourd’hui c’est difficile de proposer ces modèles parce que nous sommes en train de vivre ce qu’ils appellent «…», la modération assassinée par sa décrédibilisassion par le contexte dans lequel nous vivons. Il faut que les communautés de foi aient le courage d’interpeler les sociétés, les institutions dans lesquelles nous vivons qui diabolisent même les voix les plus modérées dans le débat public, ces voix qui sont bien sûr des voix religieuses et donc des voix qui ne sont pas normatives, des voix qui veulent vivre une certaine religiosité, une certaine sanité. D’un côté on demande aux communautés de foi d’arriver à arracher les jeunes des mains du djihadisme, du terrorisme et en même temps on les met dans une posture où ils perdent de la crédibilité aux yeux de la jeunesse. Un imam qui dénonce la violence, qui essaie de promouvoir un discours citoyen et qui malgré cela, parce qu’il affiche une certaine fierté d’appartenance à la religion musulmane, est diabolisé, a de la difficulté à se justifier aux yeux des jeunes. Les jeunes disent, « malgré tout ce que vous faites (vous allez à la télévision, vous condamnez la violence…), on constate qu’on ne vous respecte pas; on vous traite de la même manière qu’un militant qui tient un discours extrémiste. A quoi ça sert cette attitude presque compromission ? » car c’est de cette façon que les jeunes finissent par percevoir cette approche. Cependant il y a un dilemme dont il faut prendre conscience. Il faut réfléchir à comment le résoudre. En effet, on demande aux communautés de foi, aux leaders religieux, aux imams, de faire un travail auprès des jeunes pour prévenir la radicalisation; ce travail exige un lien de confiance entre le jeune et l’adulte qu’il doit reconnaître comme quelqu’un de crédible, quelqu’un dont le discours d’ouverture est fidèle aux textes religieux. Donc d’une part on demande aux leaders religieux de gagner la confiance des jeunes pour prévenir leur radicalisation; mais d’autre part on sent qu’il y a une volonté d’encourager ces leaders religieux à travailler comme informateurs. Cette préoccupation est présente au sein de la communauté musulmane. Bien sûr on veut contribuer à travailler à la cause commune qui est d’assurer la sécurité au Québec (informer les autorités policières, dénoncer les discours haineux…), mais si un imam ou tout autre travailleur social ou enseignant commence à transférer l’information à la police à chaque fois qu’il y a un petit doute ou un questionnement par rapport aux idées d’un jeune, à long terme, on risque de miner la confiance de ces jeunes. C’est actuellement une préoccupation des membres des CA dans les mosquées. Beaucoup d’imans expriment cette crainte : si je travaille avec un jeune et qu’il commence à tenir un discours qui ressemble à un certain djihadisme, qui n’est peut-être qu’un cri du cœur, un ras-le-bol, et que j’appelle la police ou le Centre, est-ce que je ne suis pas en train de miner ma crédibilité, de miner la confiance que je veux avoir avec ce jeune ou des jeunes qui vont entendre parler que telle ou telle mosquée réfère à la police Je soulève ce point parce que si on veut que les initiatives de contre-radicalisation réussissent il va falloir se poser les vraies questions parmi lesquelles : - D’où vient la force du discours djihadiste ? Est-ce que c’est réellement la nature théologique de ce discours ou c’est la position avant-gardiste des gens qui en sont les porteurs - Comment gérer la question de la confiance ? Comment travailler avec les institutions sans miner la confiance qui doit exister entre un enseignant et ses élèves ou entre un imam et ses fidèles ? |
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